Rencontre-dédicace avec Caroline Domingues – Je suis celle qui a choisi


En partenariat avec la librairie Oxymore de Port-Vendres, la Fondation Antonio Machado a organisé le samedi 7 octobre 2023 à 11h, à la Médiathèque de Collioure, une rencontre dédicace avec l’auteure Caroline Domingues à propos de son roman Je suis celle qui a choisi, retraçant l’histoire de l’Espagne depuis la guerre civile jusqu’à la loi actuelle de la Mémoire démocratique, la réhabilitation des victimes du franquisme et l’ouverture des fosses communes.

Caroline Domingues est maître de conférences en civilisation espagnole à l’université Clermont-Auvergne. Ce roman est le fruit de ses recherches, de ses rencontres et de sa passion pour l’écriture fictionnelle.

Angelica est née à Madrid en 1975. Pendant la guerre civile, ses deux grands-pères se sont battus dans les camps opposés, l’un avec les républicains, l’autre avec les franquistes. Quand le seul survivant de cette époque, l’aïeul franquiste, lui écrit pour la convier à venir le voir, elle dépasse son aversion et lui rend visite dans sa luxueuse maison de retraite galicienne. Derrière les bribes de phrases qu’il lâche, Angelica devine que la version officielle de ses origines cache une immense tromperie. Comment le mensonge est-il devenu non seulement le socle de la société, mais également de sa propre identité ? C’est ce que la jeune femme découvrira durant un été passé en Galice. Je suis celle qui a choisi est le récit d’une quête, celle de ses propres origines. Mais l’essentiel est ailleurs. De cette identité cabossée, Angelica en tirera une force inaliénable, celle du choix.



Notre rencontre avec Caroline Domingues à propos de son roman Je suis celle qui a choisi s’inscrit dans le travail de mémoire de la FAM et d’autres institutions mémorielles de notre département.

Le 8 mai 2023 Collioure a accueilli la journée consacrée par l’Espagne à la mémoire des victimes de l’exode espagnol notamment lors de la terrible Retirada de 1939.

Aujourd’hui, à l’heure où certains gouvernements régionaux espagnols sous alliance PP-VOX, comme l’Aragon, voudraient abroger la loi de Mémoire démocratique, c’est une autre célébration, un peu anticipée, initiée par cette même loi, celle de toutes les victimes de la dictature franquiste, que nous propose Caroline Domingues dans son roman.

D’ailleurs, symboliquement le roman débute et se clôt sur l’ouverture de la fosse commune de Saavedra.

Et c’est bien un roman de l’exhumation, d’une triple exhumation.

Exhumation des corps suppliciés, entre autres ceux de Felipe, le mari d’Isabel et de Paulo, le frère de Teresa, exécutés sommairement, l’un en 1936, l’autre en 1946.

Exhumation des souffrances de ceux qui ont dû subir cette longue posguerra, de ceux qui n’ont pas voulu ou tout simplement pas pu partir, de ces vaincus qui ont dû vivre sous la domination de leurs vainqueurs. C’est le thème principal du roman qui consacre peu de pages à la guerre elle-même et qui nous interroge surtout sur comment peut-on vivre ensemble ensuite.

Exhumation d’un terrible secret qu’Angelica et le lecteur qui l’accompagne vont finir par découvrir au fil du roman qui entremêle habilement le temps de sa quête identitaire et le temps du récit historique.

Le cadre principal du roman est Saavedra, une petite ville galicienne fictive de l’intérieur des terres, un microcosme figurant l’Espagne rurale de la guerre civile, et surtout de la posguerra et de l’époque du franquisme triomphant.

Les personnages masculins incarnent les forces politiques et sociales qui s’entredéchirent avec en toile de fond le vieil ordre quasi féodal avec le cacique Don Francisco qui n’en finit pas de mourir de son emphysème et le curé Don Elios qui manipule encore et toujours les consciences et les événements.

Là-dessus, deux trios face à face : les phalangistes avec Vicente Ostria, José Silva et Juan Pinto, et les républicains avec l’ancien instituteur et guérillero Alvaro Pineiro, devenu le Loup, rescapé d’une exécution et réfugié dans les montagnes avec Eugenio et Pablo, car à l’époque pour les républicains engagés, c’était El monte o la muerte.

Le vieil ordre s’accommode rapidement des nouveaux maîtres franquistes qui n’hésitent pas à assassiner, spolier maisons et commerces, l’épicerie et la boulangerie, pratiquer le marché noir, enlever et éduquer par la force les enfants des « rouges ».

Les guérilleros eux s’enferment dans une lutte désespérée qu’ils finissent par percevoir comme vaine face à la lassitude de la population qui veut oublier la guerre civile et simplement vivre.

Mais c’est en fait plutôt survivre comme ces quelques lignes du roman le révèlent :

– Le choix, on l’a pas Josefa. Et si on crève de faim, ils auront définitivement gagné.

– Alors on doit tout accepter …

– On doit juste rester vivantes et leur montrer qu’on est toujours là, le reste ils le règleront au ciel.

Joséfa se tut et se contenta de soupirer. Elle avait l’impression que la gangrène continuait d’avancer inexorablement sans que rien ni personne ne l’arrête, rongeant le corps des vaincus pendant que les autres se repaissaient. Rien, seul le silence, un silence abyssal dressé par la terreur, leur répondait. Leurs voix étaient enterrées avec les morts, recouvertes de la terre de l’infamie et au-dessus, plus rien n’existait. (pp. 146-147)

Ce sont les femmes qui ont la plus grande place dans le roman.

Deux personnages représentent le camp franquiste : Filipa Ostria, la bigote locale de l’Action catholique sous la coupe de l’Eglise et Begoña Luciente de la Section féminine de la Phalange qui avec les cinq semi-remorques de la Cátedra ambulante parcourt l’Espagne pour veiller à la rééducation de la population, surtout féminine.

Enfin quatre figures féminines puissantes appartenant à quatre générations successives retracent 70 ans de l’histoire de l’Espagne, de 1936 à 2006.

Face au curé Don Elios, la vieille Felicidad, la gardienne du chêne sacré, règne sur tous les secrets, celui de la nature, des plantes de la terre galicienne, et aussi le secret des naissances.

Juana, au destin tragique, va payer chèrement par vingt longues années d’emprisonnement et la séparation d’avec son enfant son engagement politique et amoureux avec le guérillero Alvaro.

Alma vivra longtemps sous une double identité : elle est Maria Carmen sous la coupe terrible de ses parrains phalangistes Ostria, servante en charge de Martín, qui va devenir son ami et confident, mais pour Felicidad et Martín elle est Alma, une âme vivante qui s’efforce peu à peu et difficilement de s’émanciper, sans comprendre l’aversion de Juana.  A vingt ans elle quitte Saavedra pour Madrid, et découvre le monde du travail, les mouvements sociaux, les revendications féministes et l’amour éphémère avec Martín.

Angelica, la fille d’Alma et de Martín, incarne la jeune génération qui s’interroge sur la transition démocratique et participe à la réparation matérielle et symbolique des victimes du franquisme. Elle mène sa propre enquête sur ses origines et symboliquement l’héritage qu’elle reçoit de Vicente Ostria sert au financement de l’ouverture des fosses communes de Saavedra.

A la fin de sa quête, contre les gènes, Angelica fera le choix de l’amour reçu et des valeurs humaines.

Pour terminer, comme le dit le roman au moment de l’exhumation, « La terre accepte de témoigner et l’histoire peut enfin s’écrire avec un point final », car l’oubli n’est pas une option pour une démocratie.

JCC (FAM)